Après le diagnostic

Publié le par Mamasperger

Endroit rêvé pour passer la période post-diagnostic

Endroit rêvé pour passer la période post-diagnostic

J'ai reçu mon diagnostic officiel le 3 janvier 2020 - autant dire que ça ne fait vraiment pas longtemps, même pas un mois.

Je ne devrais donc peut-être pas encore en parler parce que c'est sûr que je n'ai pas le recul nécessaire, mais - ha ha ha - c'est plus fort que moi !

A vrai dire, même si je vais peut-être changer de discours dans quelques semaines ou dans quelques mois, j'ai vraiment besoin d'extérioriser ce qui se passe pour moi en ce moment et la vision que j'en ai.

Comme toujours, commençons par remettre les choses en contexte :

J'ai découvert l'autisme et le syndrome d'Asperger le 15 décembre 2016. J'étais chez une nouvelle psy, je racontais une mésaventure qui m'était arrivée dans la semaine. Je lui expliquais que je n'arrivais pas à donner de sens à cette altercation, et que ça ressemblait à d'autres échanges que j'avais déjà eus dans d'autres contextes et que je ne comprenais pas plus. Tout y était déjà : incompréhension totale de ce que j'avais dit/fait de mal, franche animosité de la part de la personne en face, incapacité pour moi de parler et/ou de regarder la personne dans les yeux.

Tout en pleurant j'expliquais à la psy que je ne comprenais pas pourquoi je déclenchais régulièrement et depuis toujours ce type de réaction chez des inconnus (et également chez des proches) et pourquoi c'était si envahissant pour moi.

Elle a posé une boîte de mouchoirs à côté de moi. Je l'ai déplacée (elle était trop près de moi) mais pas autant que j'aurais voulu (est-ce que la psy risquait d'interpréter cet éloignement comme un rejet de son aide ?)

La psy a vu mon geste et elle m'a posé des questions, là-dessus et sur d'autres choses. Des questions étranges, parce qu'extrêmement pertinentes. Rien qui ne correspondait à ce que je connaissais de l'approche en psycho, mais des questions qui mettaient en avant les pans les plus "bizarres" de ma personnalité - ceux qui étaient cachés dans une petite boîte non pas parce qu'ils étaient désagréables mais parce qu'ils étaient incompréhensibles. Ceux qui ne ressemblaient à rien de connu, en mal ou en bien.

Et puis : "Vous vous êtes déjà intéressée au syndrome d'Asperger ?"

Je lui ai dit ce que je connaissais de l'autisme, à savoir : un enfant mutique qui se balance, qui se tape la tête contre les murs, génie des mathématiques. Oh j'avais bien lu ce roman aussi, mais même si je me sentais étrangement proche du héros ça me semblait quand-même impossible d'être réellement concernée.

Elle m'a parlé des spécificités féminines. Elle m'a donné des pistes de lectures. Tout ce qu'elle m'a décrit correspondait à ce que je vivais, à ce que j'avais toujours vécu. C'était troublant effrayant euphorisant, c'était... trop pour moi. En sortant je suis restée en état de choc dans ma voiture, incapable de repartir. Énorme crise de larmes et de sanglots. C'était ça ? C'était ça ? C'était possible qu'il y ait une explication, en fait ? Que je ne sois pas un monstre ?

Après ce premier contact avec l'autisme, je suis passée par des phases de soulagement, de relecture de ma vie, de boulimie de lecture sur le sujet, de recherche de contact avec d'autres personnes traversant les même questionnements, de témoignages de personnes autistes.

Surfant sur cette vague, j'ai contacté le C.R.A. de ma région et je me suis retrouvée sur liste d'attente pour un diagnostic. Et puis petit à petit ça s'est installé - la supposition d'autisme dans ma vie, osciller entre "c'est sûr que c'est ça ça ne peut pas être autre chose" et "mais non quand-même pas".

Oui, il y avait également les phases de syndrome de l'imposteur - "Ça ne peut pas être aussi simple, ça t'arrangerait bien, tu te cherches des excuses, comme toujours." La voix de l'auto-dénigrement et du manque d'estime de soi, difficile à faire taire.

Notamment pour apaiser un peu cette voix, j'ai passé les tests de Q.I. dans lesquels je me suis également complètement retrouvée, et qui m'ont apporté un énorme soulagement, une meilleure compréhension des autres gens et des clés de lecture.

Pendant un temps assez long cela m'a suffit de me savoir HPI (avec les fonctionnements spécifiques aux résultats de mes tests) et potentiellement Asperger. Neuro-atypique, cela me suffisait.

Et puis après la naissance de B., la nécessité d'en avoir le cœur net est revenue plus forte (j'expliquerai pourquoi dans un futur article).

Moi qui m'étais résignée au temps d'attente du CRA (s'allongeant d'année en année) j'étais à présent trop en souffrance pour tenir plus longtemps. J'ai alors recontacté la psychologue qui m'avait fait passer les tests de Q.I., et qui pose également des pré-diagnostics pour les adultes. Et à partir de là, c'est allé très vite.

Cette longue introduction pour dire cela : étrangement, après trois ans d'attente, c'est finalement allé presque trop vite.

Quand j'ai commencé à me pencher sur l'autisme, je pensais qu'en tant que femme HPI je rencontrerais des difficultés à être diagnostiquée, dans la mesure où j'ai quand-même pas mal de stratégies d'adaptation. Mais ça ne faisait aucun doute du côté de la psychologue et de la psychiatre - apparemment je ne suis pas aussi invisible que je le croyais.

Dans les mois précédent le diagnostic, j'étais envahie par la double peur d'être autiste, et de ne pas l'être.

Peur de ne pas l'être car alors ça aurait ouvert en grand la porte à tous les auto-jugements habituels "Tu n'en fais pas assez, tu es trop indulgente avec toi-même, fais des efforts bon sang, comment tu crois qu'ils font les autres ?" 

A savoir que ce sont des considérations qui tournent de toute façon dans ma tête, parce que quand on a passé la majeure partie de sa vie à entendre des jugements de ce type, on les intègre et c'est difficile de commencer à être plus doux avec soi-même. Ce n'est pas l'apanage des autistes, du reste - la société regorge de personnes à qui on a trop mis la pression et qui prennent seules le relais, puis agissent de même avec les autres. On a du travail avant d'arriver à une société accueillant les spécificités de chacun sans jugements.

Peur de l'être parce que si je le suis, c'est accepter que ces difficultés seront toujours là, d'une manière ou d'une autre, à une intensité ou l'autre. Je suis assez séduite par l'idée de la neurodiversité, mais dans le concret je ne vivrai jamais en "Autistan" parce que c'est une utopie délicieuse. Alors quoi, accepter que je suis handicapée ?

Après le diagnostic

3 janvier, début du rendez-vous chez la psychiatre. Elle m'annonce de but en blanc qu'elle confirme le diagnostic. Je suis complètement choquée. Je n'avais pas du tout eu le temps de m'y préparer car je ne m'attendais pas à ce qu'elle m'en fasse l'annonce ce jour-là. Apparemment elle m'avait prévenue au rendez-vous précédent, mais d'une manière pas vraiment explicite, et je n'avais pas compris.

Elle me demande comment je me sens, j'en sais fichtre rien.

Pendant dix jours je me suis retrouvée dans le flou. Tout était allé trop vite, toute cette attente, tout ce temps de relecture de mon passé, tout ce travail pour rassembler des bouts de vécu qui tout à coup prennent sens...

Et là, BOUM ! La quête est finie.

Le mot qui décrit le plus finement le sentiment est : "Anticlimax", pas vraiment traduisible en français. Quelque chose à mi-chemin entre "tout ça pour ça" et "retomber comme un soufflé". Un non-événement, ce diagnostic.

Je m'attendais à ressentir quelque chose comme ce que j'avais ressenti le 15 décembre 2016. Je m'attendais à ressentir pleinement cette "peur de l'être" dont je parlais plus haut. De la déprime, de l'euphorie, n'importe quoi...

Je ne m'attendais à tout sauf à "RIEN".

Après réflexion j'aurais sûrement dû m'y attendre. Quand j'ai su que j'étais enceinte de B., après 2 ans et demi d'essais infructueux et d'espoirs déçus, j'ai regardé le test de grossesse, j'ai vu qu'il était positif et je suis allée faire la vaisselle. Il m'était impossible de gérer la moindre émotion alors j'avais tout simplement bloqué l'accès. La dissociation c'est mon "mode sans échec".

Pendant ces dix jours j'ai cessé de lire des trucs sur l'autisme. Je crois que j'étais un peu à saturation. Je n'en ai pas beaucoup parlé (j'ai même eu du mal à annoncer le diagnostic à mon conjoint, ça m'a mis des heures. Et c'était encore un moment parfaitement "anticlimatic" parce que pour lui c'est tellement évident que sa réaction était de type "Ben oui, normal. Sinon on fait quoi ce week-end ?"). Je ne l'ai pas dit à ma mère (qui pourtant s'intéresse de près au sujet et est tout à fait compréhensive).

Et puis le 13 janvier je me suis dit qu'il fallait que je prenne le taureau par les cornes (vous aussi vous voyez l'image littérale s'imprimer dans votre cerveau ?) J'ai abordé le sujet comme n'importe quel autre projet : j'ai fait une session de travail sur mon post-diagnostic. J'ai lu, j'ai fait des recherches, j'ai posté sur le groupe de discussion Aspi dont je fais partie sur facebook, je me suis gavée d'informations jusqu'à ce que je ressente quelque chose.

Et petit à petit, les ressentis ont commencé à affluer. Par petites touches. Qu'est-ce que je fais maintenant, qu'est-ce que j'en fais ?

Par exemple, est-ce que je l'annonce et si oui à qui ? Ce qui est notable, c'est qu'en 2017 j'avais annoncé mon "potentiel autisme" à plein de gens, assez facilement. Alors que là, j'aurais plutôt envie de ne rien dire. Si j'y réfléchis je pense que c'est parce que tant que j'étais "potentiellement autiste" je pouvais jouer avec, quelque part. Jouer avec l'idée, mais également la faire disparaître si elle ne me plaisait plus. Pendant trois ans c'était un peu le "diagnostic de Schrödinger" --> tant qu'on n'ouvre pas la boîte, je suis et je ne suis pas autiste.

Mais là je ne peux plus jouer à ça. J'ai l'impression qu'il y a des conséquences si je le dis. J'ai l'impression d'avoir entre les mains quelque chose de puissant, dangereux et assez incontrôlable.

Et même avant ça - qu'est-ce que ça fait de se le dire, pour soi ? Je suis autiste. Même en sortant de l'idée pré-conçue que peut en avoir la majeure partie de la population, même en sortant du contexte linguistique où ce mot est utilisé comme une insulte. Juste entre moi et moi, qu'est-ce que ça veut dire ?

Par exemple, ça veut dire que je peux commencer à me pardonner, vraiment ? Cette idée me terrifie. Ça me brûle à l'intérieur quand j'y pense, je passe vite à autre chose.

Ça veut dire que je peux commencer à abandonner mes masques ? Ils s'étaient déjà sérieusement craquelés, mais là j'ai l'impression qu'ils s'éparpillent complètement et qu'ils m'échappent...

Vendredi 17 janvier : rendez-vous chez la psychiatre. Je suis gonflée à bloc par une semaine passée à reconnecter avec mes ressentis. Je commence à dessiner des projets autour de ce diagnostic. J'ai envie d'en parler. Je rentre dans la salle de consultation, je m'assied, elle me demande : "Comment ça va depuis la dernière fois ?" Et là, shutdown. Impossible de parler. Impossible de la regarder (déjà qu'en tant normal...). Crise de larmes. Sensation d'être nue, de disparaître, de partir en tous sens... J'ai fini assise par terre les bras autour de mes jambes repliées vers moi. J'avais un besoin impérieux de me serrer pour me contenir. Il n'y a qu'à cette condition que j'ai pu parler un peu avec elle.

Je me suis sentie tellement nulle, comme si ce diagnostic, au lieu de m'aider, ne faisait que m'enfoncer un peu plus. Une moins que rien, incapable de se bouger.

Etre face à quelqu'un qui sait que je sais qu'il sait que je sais qu'il sait que je suis autiste, ça m'a totalement empêché de mettre le moindre masque. Je ne m'y attendais pas.

Après le diagnostic

Comment terminer cet article ? Tout ceci est tellement récent...

En repartant de ce rendez-vous somme toute difficile avec la psychiatre, j'ai encore une fois été très étonnée de ce qui me traversait. Assez vite, tout en conduisant, je me suis retrouvée bombardée d'envies. Envie de m'investir, envie d'agir, envie de faire quelque chose... et envie de parler, enfin.

J'avais déjà pensé à ce blog depuis plusieurs mois mais c'est le fait d'être diagnostiquée qui m'a poussée à sauter le pas. Ne plus seulement être une lectrice passive se nourrissant des expériences des autres, mais bel et bien une voix de plus - modestement - parmi ces autistes qui parlent.

Publié dans L'autisme au quotidien

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G
Comme je me retrouve dans ton billet. Tu parviens à mettre des mots là où j'échoue. Bon sauf que je ne suis pas HPI. Mais pour le reste, même si ma chronologie est un peu différente, ce sont mes ressentis. <br /> Je pense qu'en tant qu'ASPI hyper masquée (ce qui est mon cas), on est effectivement invisible du "grand public", celui qui n'y connait rien en TSA, donc 99.9% des gens. Mais pour les professionnels qu'y s'y connaissent (et qui sont hélas peu nombreux), on est loin d'être invisible. En tout cas, je vais mettre ton blog dans mon blog roll !<br /> Geybuss (sur le forum asperansa).
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M
Merci beaucoup pour ton retour, je suis toujours très touchée de voir que mes articles peuvent parler (voire aider) d'autres aspi. Il y a quand-même tout une génération qui est concernée par ce diagnostic à l'âge adulte et même s'il est salvateur c'est quand-même un sacré chamboulement... Avec les connaissances et la recherche qui avancent on peut espérer que ce sera moins le cas des petites filles d'aujourd'hui.
É
C est beau et effrayant parfois<br /> Merci
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